Underline/Borderline/Overline
« ll faut cacher la profondeur. Où cela ? À la surface. »
Hugo von Hofmannsthal
Hervé Bezet est arrivé à l’Appart à Poitiers à l’automne 2007, invité en résidence de création par l’association En attendant les cerises productions, avec l’idée de mettre en œuvre, de vivre et aussi de partager, ce qu’il nomme volontiers son « fantasme filmique ». Un fantasme qu’il lie au cinéma et à la figure de l’acteur empreint de son histoire, de ses mythes et de ses grands noms : Hollywood et la Cinecitta ; Welles, Bergman, Godard, Lynch, Tarentino et Van Sant ; De Niro, Kinsky, Huppert et autres monstres sacrés… Un fantasme qu’il lie aussi à l’art, à sa façon d’interroger le dispositif filmique (chez Douglas Gordon ou Thierry Küntzel), comme à sa façon de « dé-filmer » le cinéma (à l’instar de Huyghe ou de Bismuth), tout en donnant à voir ses conditions de production : intellectuelles, matérielles et économiques.
Conjuguant la lucidité de l’artiste qui travaille avec des moyens limités (l’économie de l’art et du cinéma n’ont en effet rien à voir) et le fantasme du réalisateur, c’est à l’Appart, dans le cadre intimiste et parfois solitaire de la résidence, qu’Hervé Bezet va mettre en œuvre son projet.
Celui-ci consiste à expérimenter ce que recouvre la « réalité » d’un film (que recouvre-t-elle justement qui ne soit pas déjà fantasmé ?), tout en en donnant à voir l’aval et l’amont, les tenants et les aboutissants, le champ et le hors-champ, croisant production plastique et production cinématographique.
Hervé Bezet va alors scénariser le réel et le quotidien qui l’entoure : il va transformer son lieu de résidence, l’Appart, en salle de réunion pour une commission du CNC1 puis, tour à tour en studio, en salle d’exposition et en salle d’audition pour un casting.
Il va distribuer les rôles : l’association En attendant les cerises productions endosse celui du producteur ; les comédiens, amateurs poitevins et professionnels auditionnés, sont les acteurs à part entière de ses deux films : Casting et Avatar. Ses interlocuteurs du milieu de l’art (que sont le Confort Moderne et le Fonds régional d’art contemporain Poitou-Charentes) sont invités (dans leur rôle) à suivre le processus, à y participer s’ils le souhaitent, à employer ses talents de réalisateur parfois et à se faire les annonceurs et les diffuseurs2 des œuvres et films réalisés.
Le projet, s’il provient d’une intention individuelle, celle de l’artiste, devient aventure collective, celle qui tient du cinéma, qui inclut l’équipe de production, les acteurs, l’équipe de tournage… et le public aux abords du tournage ou dans la salle de projection (qu’il soit au cinéma ou dans une exposition).
Chaque temps de l’aventure est matérialisé d’une façon ou d’une autre. La recherche de subventions prend forme dans l’installation La commission du CNC ; le travail de maturation, de fiction, de scénarisation et de montage se retrouve dans l’installation Réseau de Neurones ; le casting est une performance.. Enfin, le récit (le scénario « prétexte » du film) se dissout de lui-même dans le tournage du film Avatar au profit du méta-récit qui à son tour laisse transparaître, au-delà de l’histoire que l’on attend ou finalement de la structure filmique que l’on perçoit, ce qu’il y a, sous les images. Ou plutôt ce qui subsiste avant, pendant et après les images, et qui caractérise l’aventure humaine et collective que constitue l’expérience relationnelle et professionnelle du tournage d’un film qui fait œuvre, au croisement de l’art et du cinéma.
Isabelle Delamont, janvier 2009
1 Le Centre National de la Cinématographie promeut, soutient, règlemente la production cinématographique et vidéographique française.
2 Le FRAC Poitou-Charentes a acquis en 2008 l’installation Réseau de Neurones et les films Casting et Avatar.