Still Life (nature morte)
Installation vidéo - Chambre des moines -Les Futurs de l’écrit - Abbaye De Noirlac - Cher
Par l’art seulement nous pouvons sortir de nous, savoir ce que voit un autre de cet univers qui n’est pas le même que le nôtre, et dont les paysages nous seraient restés aussi inconnus que ceux qu’il peut y avoir dans la lune.
Marcel Proust - Le temps retrouvé
Hervé Bezet présentait sa création, Still life (nature morte), dans l’une des chambres de moines, soigneusement revêtue de blanc, sol compris, par ses soins. Dans cette bulle immaculée - sur-monacalisée pour ainsi dire - un ordinateur, posé sur des tréteaux, était relié à un grand cube compartimenté, évoquant la maquette d’un grand ensemble de logements, tout blanc, d’où partaient des câbles multiples. Les câbles serpentaient au sol, férocement noirs dans ce blanc de neige. D’étranges racines-lianes que l’on imaginait reliées, pour le moins, à la planète entière ! Qu’allait-il bien pouvoir apparaître sur l’écran de l’ordinateur, que le visiteur, tenu à distance, ne pouvait que regarder et pas manipuler ? Suspens, attente. Or voici ce qui apparaissait au terminal de ce dispositif impressionnant : une page blanche - toi-même, visiteur ? - sur laquelle un pinceau virevoltant avec élégance semblait flotter dans les limbes et inscrivait des lignes nuageuses sitôt effacées sans laisser la moindre trace. Le trait unique du pinceau dans le vide. Vide abyssal ? Disponibilité à tous les possibles ? Chacun aura son interprétation. Ces connexions, où mènent-elles ? Que véhiculent-elles ? D’où viennent-elles ?
Renseignement pris, le pinceau dessinait des lettres s’effaçant immédiatement : les lettres du mot « fake ». Fake : terme informatique désignant un faux fichier, un bluff, une erreur. Avatar, « replicant », factice ! Bref, pas le dossier attendu. Double effacement donc. En tout cas, mission accomplie pour Hervé Bezet qui nous fait réfléchir, c’est certain, à l’une des grandes mutations d’aujourd’hui. Il a l’intelligence de la mise en situation du public, tout comme avec l’une de ses précédentes installations, Réseau de neurones (Coll. FRAC Poitou-Charentes) – présentée dans le livre qui lui est consacré (Underline / Borderline – Sous les écrans les images, édité par Un, Deux… Quatre) – une arborescence de câbles qui menaient à des fiches, entourées de dessins, de croquis, d’indications en noir et blanc, évoquant le story-board d’un film. Hervé Bezet poursuit une réflexion sur les supports concrets de la communication du début du XXIe siècle. Branchements multiples, mais à quoi, vers quoi ? Il sait mettre en scène, susciter, faire partager la fascination et la perplexité face à l’immensité du nouveau monde virtuel.
Évelyne Loew – août 2011